La chapelle du Schaefertal au format PDF [169 KB]

Le site et son appellation
Le site du Schaefertal doit son importance au carrefour qu'il forme à la croisée des trois vallées d'Orschwihr, de Soultzmatt et de Wintzfelden, mais surtout à sa position sur l'axe Nord-Sud, l'ancienne piste reliant Soultzmatt à Lautenbach par l'Oberlinger. C'est le chemin que prirent les moines pionners de la célèbre collégiale du Florival à laquelle l'arrière vallée de l'Ohmbach était spirituellement soumise.
La clairière aménagée à ce noeud routier semble remonter très loin dans le temps, des indices de l'époque mérovingienne y auraient été relevés.
La première mention historique du lieu apparaît en 1339. Il est alors possession des nobles de Laubgassen. Ces derniers, originaires de Suntheim village disparu au Sud de Rouffach, résidaient au château du Laubeck qui s'élevait sur les hauteurs de l'arrière vallée de Soultzmatt. Ils tenaient le Schaefertal en arrière-fief des seigneurs de Ribeaupierre qui en étaient inféodés par les princes évêques de Strasbourg , maîtres au temporel du Haut-Mundat de Rouffach dont la vallée de l'Ohmbach faisait partie.
La graphie ancienne du lieudit "Scheffart", telle qu'elle apparaît en 1380 dans le censier du "Steinenkloster" de Bale, est la contraction de Scheffar - tal. Elle se retrouve en Schaffart dans les documents des XVe et XVIe siècles conservés aux archives communales de Soultzmatt. La dénomination moderne de "Val du Pâtre" est une mauvaise traduction de Schaefer qui désigne bien un berger ( gardien de moutons ) et non pâtre ( gardien de bovidés ). L'appellation ancestrale de Schaefertal est une vérité historique et un élément de notre patrimoine linguistique.

Origine du sanctuaire
L'origine de la chapelle du Schaefertal est incertaine. Il se pourrait fort bien qu'elle fasse suite à un humble oratoire élevé jadis par des bergers des Laubgassen ou autre possesseur de ce pâturage sylvestre. A moins qu'il s'agisse d'une christianisation d'un lieu de culte druidique plus ancien.
Comme de coutume, là ou les documents font défaut interviennent les légendes. Voici celle publiée au milieu du 19e siècle par Auguste Stöber :
" Marie, la mère de Dieu, gardait jadis un troupeau de moutons en ce lieu retiré. Dure était la journée par un temps très lourd. Depuis des semaines la pluie faisait défaut et l'herbage était desséché et tout alentour pas le moindre filet d'eau pour les bêtes assoiffées. La sainte bergère fut prise de pitié et frappa le sol avec sa houlette. Aussitôt une source abondante en jaillit réconfortant le troupeau affaibli"
C'est cette version la plus ancienne qui est reproduite sur le tableau votif daté de 1719, offert par le curé Higelin de Merxheim.
La chapelle et son développement
Le pèlerinage connut un développement constant. En 1511 on procéda à un agrandissement vers l'Ouest dans le style gothique tardif. La charte de la reconsécration de la chapelle, datée du 25 juillet 1511, nous dit que ce fut l'évêque suffragant de Bale Télamonius Limperger qui officia en la circonstance. L'autel fut consacré en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie, de Ste Anne, St Onuphre, Ste Barbe et de tous les Saints. Une indulgence spéciale de 40 jours fut accordée aux pèlerins venant faire leurs dévotions dans la nouvelle chapelle.
Ils vinrent nombreux, de sorte qu'une nouvelle extension du bâtiment fut nécessaire. Cette campagne s'étendit sur les années 1594 - 1596. La commune fit agrandir la nef vers l'Ouest de la longueur de deux fenêtres en partant du coeur. Ce fut finalement en 1726 que l'édifice obtint sa dimension actuelle.
 Les nobles protecteurs de la chapelle ne furent pas étrangers à son développement. Ils en firent un lieu privilégié pour leurs cérémonies familiales: fiançailles, mariages, fondations d'anniversaires pour leurs défunts. Après les Laubgassen ce furent les chevaliers de Stör, puis les Kappler, les Jestetten et les Landenberg tous résidant à Soultzmatt.
Administration et patrimoine sous l'Ancien régime
La chapelle disposait de différents revenus censiers fruit des donations faites et engagées sur les biens des fidèles principalement soultzmattois. Ainsi d'une maison située "an der Hasengasse", d'un jardin et de vignes "im neuen Weg", "im birklen Weg", "im oben Berg"; de prés près du "Haffners Brünly", d'une exploitation rurale près du pont St Grégoire, d'une maison "an der Wasch" et d'une autre sise près du château de Zillhausen.
En 1605 Jean Berrer de Soultzmatt devint débiteur d'une somme de 20 Livres au profit du Schaefertal suivant un document aux archives de nobles de Breiten-Landenberg.
Les archives communales de Soultzmatt conservent des comptes concernant le Schaefertal de l'année 1687 qui précisent les revenus pour une somme de 125 Livres, à laquelle il faut ajouter 40 Livres d'offrandes. Un receveur spécial était désigné pour assurer la comptabilité de la chapelle. C'était un honorable bourgeois de la commune, membre du Conseil. En 1687 cet office était confié à Laurent Heitzmann, en 1734 à Joseph Strich, en 1737 à un certain Ehret, en 1749 à André Bickhan et à Jean Guillaume Altenmatt en 1751.
Parmi les revenus figuraient également les anniversaires fondés auprès de la chapelle. En 1687 on connaît ceux célébrés en mémoire de Valentin Wetzel, Jean Thiébaut Lichtlin, Nicolas Wetzel, ancien prévôt, Agathe Wetzel, Jean Wamer et Barbe Brentz, Louis Lack et Madeleine Holtzvögt.
En 1720 le capital censier dépassait 148 Livres et en 1744, 299 Livres. Aux revenus déjà cités s'ajoutèrent des redevances de vignes aux lieu-dits Endstein, bei der Cappel, im oberen Tal, im Vierring, in der Erzgrub, im Breitenweg, im Glatteisen, im Ubelträ, in derHaub et d'un verger an der Holtzgasse. En 1758 ces recettes sont de 450 Livres et dépassaient même 700 Livres an 1760. Les revenus confondus se montèrent en 1786 à la coquette somme de 2567 Livres.
Les dépenses comprenaient essentiellement les rétributions dues au curé de Soultzmatt pour la lecture des offices divins du samedi matin au Schaefertal, soit 15 Livres. On note également les débours pour le chapelain et le maître d'école, les casse-croûtes lors des processions du Chemin de la Croix, les fournitures d'hosties par les Franciscains de Rouffach. L'administrateur des biens touchait à peine une Livre pour ses services.
Le 10 octobre 1667, 10 Livres furent payées au menuisier ayant façonné le nouveau tabernacle. Le 14 mai 1671 on fit la commande à Bale d'une cloche d'un quintal et demi pour la somme de 56 Florins = 132 Livres. Elle remplaça partiellement la perte se deux cloches en 1640, lors de la guerre de Trente Ans. A cette époque 13 cloches furent volées par les soldats dans la vallée. La chapelle fut dotée d'une deuxième cloche en 1741.
Le 19 mai 1655 le magistrat de Soultzmatt demande à l'évêque de Bale que les offrandes en argent faites au Schaefertal reviennent exclusivement à la chapelle qui en a grand besoin par suite des dégâts de guerre. Cette mesure fut prise contre le curé de Soultzmatt qui voulait retenir la moitié des revenus à son propre bénéfice.
Un nouvel autel fut commandé le 10 septembre 1672 au sculpteur Frank Jost. L'autel était orné de deux colonnes et de deux anges. Le maître-autel devait également être pourvu d'une ornementation; le tout pour la somme de 70 Livres.
Six panneaux en bois peints ( XVe - XVIe S. ) décoraient autrefois la nef de la chapelle. Ils furent transférés à l'église paroissiale de Soultzmatt. Deux représentent le martyre de Ste Catherine d'Alexandrie ( influence des Récollets de Rouffach ), les quatre autres les Docteurs de l'Église : les saints Grégoire, Jérôme, Ambroise et Augustin.
Le tableau de la Sainte Famille fut exécuté en 1751 par Antoine Neyser de Soultz et restauré deux siècles plus tard par l'artiste colmarien Robert Gall.
Parmi le mobilier il faut surtout citer la belle statue de la Madone en bois polychrome d'époque Renaissance.
La chaire (XVIIe s.) de bonne facture était ornée de statuettes en bois sculpté représentant les quatres évangélistes. Trois furent malheureusement volées en 1968. La chaire était soutenue par une autre statue en bois - un "Sanson" - qui fut également la proie de voleurs sans scrupules en juillet 1975.
Lors de la visitation de 1725 on signale le bon état d'entretien de la chapelle avec ses trois autels. Un calice en argent et un ciboire de même figurent également à l'inventaire.
De nombreux ex-votos témoignent de la popularité du pèlerinage. Les fidèles venaient en grand nombre aux fêtes de le vierge. La fête de la dédicace célébrait le dimanche avant la fête de St Laurent. Les habitants de Soultzmatt venaient surtout en procession : à l'Assomption ainsi qu'aux fêtes de la Croix ( 3 mai et 14 septembre ), ceux de Rouffach le 2 juillet, de Westhalten à cette même date, le 15 août et 8 septembre et de Orschwihr.
Révolution et époque moderne
Lors de la révolution la chapelle et ses annexes furent vendues en 1796 comme bien national à Bernard Landwerlin pour la somme de 12 000 Livres. Landwerlin fut maire de Rouffach de 1804 - 1808.
La chapelle fut rendue au culte le 14 octobre 1803 sur les insistances des maires, adjoints et conseillers municipaux, ainsi que les curés de Soultzmatt, Westhalten et Orschwihr.
En 1804 il est fait état de nombreux pèlerins venant au Schaefertal aux fêtes de la Sainte Croix et à la Saint Marc. Le rapport de visitation de 1912 signale encore sept procession depuis Soultzmatt, une de Wintzfelden et une autre d'Orschwihr. En 1937 huit processions se pratiquent encore avec grand'messe.
En 1951 le curé Joseph Hoch de Soultzmatt entreprit une rénovation de la chapelle qui fut décorée par l'artiste peintre Robert Gall de Colmar. C'est à cette occasion que l'on découvrit partiellement les fresques du XVIe siècle ornant les ébrasements des fenêtres de la nef.
L'ermitage et le chemin de Croix
Du coté Est s'élève un ancien bâtiment jadis relié à la chapelle. Dénommé "Bruderhaus" dans les anciens textes, cet ermitage pose un problème particulier. En effet, les dimensions de l'édifice semblent disproportionnées pour l'hébergement d'un simple ermite. Il date de la fin du XVIe siècle. Dans le mur vers la chapelle on remarque une belle fenêtre tripartite actuellement murée. Tous les encadrements des fenêtres sont en pierre de taille d'époque Renaissance.
Une restauration de la maison fut entreprise en 1726. C'est à cette époque que datent les lambris de la salle du premier étage exécutés dans le style Louis XIV.
Vendu pendant le révolution , ce bâtiment fut également acquis par Bernard Landwerlin en 1797 pour la somme de 5 100 Livres. Tout comme la chapelle il esr redevenu propriété de la commune de Soultzmatt.
Un autre ensemble de grand intérêt en ce lieu est l'ancien Chemin de Croix, jalonnant la "Voie Sacrée" reliant Soultzmatt au Schaefertal. Son origine remonte à 1778. Selon la légende les croix furent érigées par de pieux bourgeois vignerons de Soultzmatt en reconnaissance de la Vierge Marie invoquée pour la protection des récoltes lors d'un violent orage.
Il est intéressant de noter qu'il comporte quinze stations. La dernière relate l'Invention de la Sainte Croix par Ste Hélène, la mère de l'empereur Constantin. Cette croix est une fondation d'une noble dame de Wasserstelzen. La présence de cette quinzième station marque également l'influence des Franciscains de Rouffach que nous avons déjà trouvée sur les panneaux de la nef de la chapelle représentant le martyre de Ste Catherine d'Alexandrie, patronne de l'église conventuelle de Rouffach. Les petits tableaux ornant les croix sont également l'oeuvre de Robert Gall et furent apposés en 1951.
Ainsi cet ensemble du Schaefertal forme-t-il un bel élément de notre patrimoine spirituel et artistique. Un témoignage de la foi et de l'amour du terroir de nos ancêtres.

Extrait de l'historique de Pierre Paul FAUST de la plaquette éditée par "Les amis du Schaefertal" à l'occasion de l'inauguration de la chapelle rénovée :
18 septembre 1988